Thursday, March 27, 2014

James Gray et ses fantômes

À 25 ans, le cinéaste écrivait et réalisait « Little Odessa ». Arte diffuse le film, suivi d'un documentaire sur ses secrets de fabrication.

Les bonnes fées ne s'étaient pas précipitées sur ce berceau : un budget étriqué de 2 millions de dollars, un tournage express dans des conditions météorologiques dantesques, un jeune réalisateur et scénariste de 25 ans inconnu au bataillon, le désaveu d'une de ses stars à la projection. Pourtant, le film Little Odessa sera le coup de coeur du Festival de cinéma de Venise en 1994. Le thriller repart avec le lion d'argent et place sur orbite son metteur en scène : James Gray. Arte lui déroule le tapis rouge, ce mercredi, en diffusant le film puis un documentaire sur sa genèse.
Little Odessa est le surnom donné à une partie de Brooklyn à New York, où se sont installées plusieurs vagues d'immigrants venus de Russie : Juifs fuyant les pogroms, esprits désireux de tenter leur chance après la chute de l'URSS, mais aussi membres du crime organisé. Une toile de fond indissociable de la tragédie que tisse James Gray. Son héros, Joshua Shapiro (indéchiffrable Tim Roth), est un tueur à gages contraint de revenir dans le quartier de son enfance pour exécuter un contrat, et ce, bien que sa propre tête soit mise à prix.
Joshua a été renié par son père (bougonnant Maximilian Schell). Pour l'intraitable patriarche qui a les punitions et les coups de ceinture faciles, ce fils aîné est un déshonneur, qui risque de « contaminer » son cadet, Reuben (Edward Furlong, à contre-emploi). L'adolescent reprend cependant contact avec Joshua et lui révèle que leur mère (Vanessa Redgrave, elle aussi récompensée à Venise) se meurt d'une tumeur. Défiant l'oukase parental, Joshua se rapproche de ce frère qui l'idolâtre, même si cette complicité ne peut être qu'éphémère.

Une franchise rare

Baignant dans un clair-obscur emprunté aux tableaux du Caravage, nimbé dans la neige d'un des hivers les plus violents que connut New York, résonnant de choeurs, Little Odessa est un bijou de crépuscule, d'émotions étouffées et de non-dits. Telle des poupées russes, cette oeuvre sur les dysfonctionnements qui rongent et détruisent une famille se dissimule dans un thriller mafieux, un Parrain du Caucase où les exécutions sont cliniques. Un faux-semblant que décrypte James Gray dans le documentaire très fouillé que lui consacre, après la diffusion du long-métrage, David Thompson, dans le cadre de la série documentaire Un film et son époque. Si le réalisateur américain, dont c'était le premier film, a eu besoin d'une telle mise en abyme, c'est que Little Odessa contient beaucoup de son histoire personnelle.
Cette mère qui convulse, ce père perpétuellement insatisfait, cet aîné si difficile à saisir, ces aïeux qui ne s'expriment qu'en yiddish, c'est l'enfance de James Gray. Ses grands-parents arrivèrent aux États-Unis dans les années 1920 via Ellis Island pour échapper à l'antisémitisme dont ils étaient victimes en Ukraine. Une page d'histoire qu'il a récemment revisitée dans The Immigrant avec son acteur fétiche Joaquin Phoenix et Marion Cotillard.
Le réalisateur de La nuit nous appartient et de Two Lovers est d'une franchise rare. Il n'édulcore pas les coulisses rocambolesques de Little Odessa. James Gray ne dira rien sur les recherches qu'il a menées dans le milieu des tueurs à gages, mais il imite à la perfection les tics de l'ombrageux Maximilian Schell, décédé en février dernier. Il explique comment l'acteur autrichien et Tim Roth (« En analyse ») en sont pratiquement venus aux mains lors d'une scène de dispute et esquisse un mea-culpa, vingt ans après.
Tim Roth raconte l'atmosphère improbable du tournage où les habitants du quartier applaudissaient à tout rompre après des scènes de crimes. Vanessa Redgrave, qui a hésité à rejoindre le projet car elle le jugeait trop violent, complète cette liste de témoignages indispensables pour redécouvrir un film et un réalisateur trop souvent incompris.

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