Friday, April 11, 2014

Manon, une âme en peine

Jean-Xavier de Lestrade signe une fiction poignante sur une adolescente envoyée en centre éducatif.

Une silhouette menue déambule dans la pénombre jusqu'au réfrigérateur et se jette sur la nourriture. Bienveillante au premier abord, la mère propose de faire réchauffer le plat mais, très vite, les reproches pleuvent : « Pourquoi tu sèches les cours ? », « Pourquoi tu ne dis jamais rien ? », « Pourquoi tu me rends malheureuse » ? Acculée, à bout, Manon la poignarde.
Rarement montrée à la télévision, la violence des adolescents, et celle des filles en particulier, est le sujet de 3×Manon, la fiction que lance Arte ce jeudi soir. Sur un sujet qui pourrait sembler misérabiliste et scabreux, le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade tisse une minisérie magistrale. Manon, regard de biche noir et fuyant de colère, silence borné, chevelure d'ébène, comparaît devant le juge pour enfants qui lui propose, en guise de dernière chance, un séjour en centre éducatif fermé.

Un parfait duo mère-fille

Les premiers pas de l'adolescente - interprétée par Alba Gaïa Bellugi, qui crève l'écran - sont tonitruants. Elle enchaîne bagarre sur bagarre, insulte sur insulte, avec les éducateurs et les pensionnaires, dont la chef de bande, Lola. Des geysers de fureur comme autant de cris de désespoir de la part d'une âme qui ne se connaît pas, qui n'a jamais eu l'espace de s'exprimer.
Oscarisé pour son documentaire Un coupable idéal, le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade a eu l'idée de 3×Manon lors d'une enquête sur l'affaire Courjault. « J'avais discuté avec la psychiatre Claude Halmos, se souvient-il. Elle disait que le passage à l'acte chez celle qui avait tué plusieurs de ses nouveau-nés s'expliquait par sa relation avec sa mère. Celle-ci ne lui avait pas transmis l'imaginaire. » Et d'ajouter : « Les parents d'aujourd'hui pensent que l'amour suffit et se défaussent de leur mission d'éducation sur les institutions comme l'école. J'ai voulu explorer ces limites. »
Si 3×Manon sonne juste, c'est grâce à son parfait duo mère-fille. Marina Foïs est terrifiante de tendresse fusionnelle et envahissante qui empêche sa fille de grandir. Alba Gaïa Bellugi hante les couloirs, sa main glissant sur les murs comme pour saisir une corde de sauvetage invisible. « Alba Gaïa Bellugi est on ne plus différente de Manon, elle aime l'harmonie. Pour les scènes de violence, elle a cherché au plus profond d'elle-même. Lorsqu'elle achevait ses scènes, on voyait parfois un voile de mélancolie dans ses yeux », raconte, admiratif, Jean-Xavier de Lestrade.

Loin de l'image d'Épinal

3×Manon est une suite de renaissances. « L'adolescente est étouffée par cette rage insensée qui l'habite et qui lui échappe. Grâce à son professeur de français, elle apprend les mots qui vont lui permettre de se projeter, de découvrir sa singularité. Elle comprend que l'amour de sa mère n'est pas normal, qu'elle n'a jamais connu l'amour », décrypte Jean-Xavier de Lestrade, qui a soigné à dessein les scènes où les filles débattent des mythes et des contes, armes indispensables vers la liberté.
« Contre la violence des jeunes, tout est préférable à l'incarcération », souligne le réalisateur, qui restitue toute l'ambivalence des centres éducatifs fermés. Les éducateurs se comportent en gardiens de prison mais doivent aussi conduire vers l'âge adulte ces âmes en peine. « J'ai voulu montrer l'adolescence telle qu'elle est, loin de l'image idéale que l'on trouve par exemple dans la série Clem », plaide Jean-Xavier de Lestrade, qui aimerait « ouvrir les horizons ».
Récompensée en janvier par le Fipa d'or, 3×Manon interroge chacun sur sa conception de la parentalité et de l'affection. De la vie, tout simplement.

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