Tuesday, November 02, 2004

L’épuration des journalistes : sévère ou complaisante ?

Une petite chronique pour le cours d'Histoire des media d'Agnès Cheauvau...Le cahier des charges n'est pas vraiment respecté si ce n'est pour la longueur car on reste encore bien trop proche du ton de l'exposé que celui de l'humour et de l'impertinence de nos chroniqueurs radio. Petit écrit assez insignifiant donc...





La libération et l’épuration qui la suit constituent une période d’exception à tous les sens du mot dans l’histoire de la presse française. Comme à l’époque de la Terreur révolutionnaire les mots sont aussi lourdement punis que les actes. Et les journalistes qui ont écrit et publié pendant les années noires doivent rendre des comptes aussi bien que ceux qui ont combattu ou travaillé pour l’occupant. Plus encore que les écrivains ou les acteurs, ils paieront un lourd tribut qui sanctionne paradoxalement l’importance de leur métier.

Pendant quatre ans, la presse a véhiculé la propagande des Allemands. Les journaux ont été transformé en vitrine de la collaboration dont les journalistes se sont fait les porte drapeaux. On les accuse d’avoir corrompu l’esprit publique. Il s’agit d’abord de punir les hommes.

Les cours de Justice crées par l’ordonnance du 26 juin 1944 jugeront sans faiblesse les cas les plus graves. Jean Luchaire, directeur des Nouveaux Temps, Georges Suarez, directeur d’Aujourd’hui sont condamnés à mort et exécutés, Charles Maurras (Action Française), Henri Beraud (Gringoire), Lucien Rebatet (Je suis partout) sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité Le procès de Robert Brasillach, intellectuel subtile, délicat romancier mais aussi rédacteur en chef de Je suis partout, crée un malaise. « La justice ne peut fusiller des âmes » plaide son avocat. Alors que la nouvelle génération de journalistes issue de la résistance où les communistes influents exigent une sévérité exemplaire, François Mauriac, Jean Anouilh recueillent de nombreuses signatures en vue d’obtenir sa grâce. Albert Camus, lui même, pourtant, partisan d’une épuration rigoureuse, rejoint les pétitionnaires. En vain, Brasillach est fusillé le 6 février 1945. Même dans le climat passionné de la période, le contraste entre une telle sanction et la relative impunité des industriels qui ont largement profité de la collaboration pose problème. Pour compléter le dispositif judiciaire, des chambres civiques prononcent de nombreuses peines d’indignité nationale.

Quant à ceux moins connus ou compromis qui échappent aux poursuites judiciaires, beaucoup d’entre eux tombent sous le coup d’une épuration professionnelle méticuleuse mise en place par l’Etat. L’exercice du métier est subordonné à l’obtention d’une carte d’identité professionnelle que seule la commission nationale de la carte d’identité du journaliste est habilitée à délivrer. Le gouvernement lui octroie en mars 1945 les pouvoirs d’une commission d’épuration. Chaque aspirant journaliste doit justifier de ses activités pendant l’occupation. Sur 8200 dossiers, 687 sont écartés. Si une peine sur dix est réduite par la commission supérieure composées de vieux briscards du journalisme que les plus jeunes accusent de mansuétude, 7% des candidatures sont définitivement rejetées, un chiffre bien plus élevé que dans l’administration. D’une manière plus générale, sanctionnés ou non, les journalistes ayant eu une activité professionnelle entre 1940 et 1944 se retrouvent au banc de la profession au moins pour quelques années. Les plus chanceux se recasent dans le rewriting ou reprennent leurs carrières sous pseudonyme à l’exemple de Robert Julien Courtines qui tiendra la rubrique gastronomique du Monde sous le nom de Grimaud de la Rémière.

La fermeté de l’épuration qui touche les journalistes trouve son aboutissement dans l’épuration de la presse. Au delà de la condamnation des personnes, le projet qui sous tend l’épuration répond à une fin morale. L’occasion paraît idéale, sur les ruines de la « presse de la trahison » d’empêcher la renaissance de la presse vénale des années 20, propriété des grands industriels.

A la suite des ordonnances de juin 1944, sont suspendus d’office tous les journaux publiés à partir du 25 juin 1940, fruits de la défaite et de l’armistice. Sont aussi concernés tous les journaux existants de la zone Nord ayant paru après cette date. En zone sud sont interdits les titres parus après le 25 novembre 1942, soit quinze jours après l’invasion de la zone libre. Les biens des journaux suspendus sont placés sous séquestre et leurs locaux donnés aux journaux issus de la Résistance. Les ordonnances de septembre 1944 transformeront la suspension en suppression définitive. Cet assainissement de la presse est brutal et s’applique indifféremment à tous les titres quelque soient leurs « actes de résistances ». D’aucuns perçoivent cette stratégie du « ôte toi de là pour que j’m’y mette » comme un règlement de comptes. Des journaux tels la Dépêche de Toulouse qui avait résisté aux consignes de la censure de Vichy et payé un lourd tribut à la Gestapo est suspendue et remplacée par des journaux de la Résistance (le Patriote,la République). Autre victime de l’arbitraire, le Temps. Bien qu’il se soit sabordé comme le Figaro en novembre 1942, il n’obtient pas d’autorisation pour réapparaître en 44. Motif : il n’a cessé de paraître que le 29 novembre 1942 soit 4 jours après la date fixée par l’ordonnance. Un classement sans suite de la Cour de justice n’y fera rien. La mort du journal est programmée pour cause « révolutionnaire». Aucun crime anti-patriotique ne lui est reproché, mais il est accusé d’être l’organe des trusts qui ont corrompu la presse d’avant guerre. Cette disparition favorise le nouveau venu qui le remplace, Le Monde, qui fera la carrière que l’on sait ce qui hélas ne sera pas le cas des titres la presse épurée qui disparaîtront pour la plupart à moins qu’ils ne retombent sous la coupe du « Grand capital ».



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