Wednesday, January 12, 2005

Anne Nivat, une femme libre sur les sentiers de la presse (ou de la guerre)

Catherine Vincent : Après Philippe Labro et Alain Genestar, ce fut Anna Nivat, une journaliste indépendante amoureuse de la Tchéchénie qui eut les honneurs de cet exercice portrait-compte rendu que je ne maitrisai jamais vraiment. Ce qui sauve ce papier là, victime d'un baclage nocturne, c'est la relective attentive de DJ. Par contre, Sarah a fait de cette session du jeudi un chef d'oeuvre, d'hommage qu'elle le conserve secrètement!
« Le jeu de la vie m’amuse, mais dans le grand reportage on ne joue pas ». Ainsi parle Anne Nivat, journaliste free lance et fière de l’être. On a vu un peu partout la signature de cette aventurière de l’information qui a « couvert » - excusez du peu – les guerres d’Afghanistan, de Tchétchénie et d’Irak. Sur le terrain.

Ce qu’elle aime ? Le journalisme tel qu’il devrait être. Ce qu’elle déteste ? Le journalisme tel qu’il est. Le formatage imposé par les chaînes d’information en continu, à commencer par CNN, « le robinet à infos ». Mais aussi bien le bavardage « à la française ». A l’en croire, la presse hexagonale a la maladie d’éditorialiser. « Mes papiers », dit-elle, « je les donne en vrac, sans commentaire. Je n’impose aucune vérité à mes lecteurs. Ils sont assez grands pour se faire eux-mêmes une opinion ».

C’est pour aller à l’authentique, au vrai et pour échapper au parisianisme des salles de rédaction qu’en septembre 1999 Anne Nivat part pour la Tchétchénie, un mois avant le début de la seconde guerre russo-tchétchène. Elle a l’intuition que quelque chose d’important se prépare là-bas. « Je voulais faire partager autre chose à mes lecteurs. Sur place, je pouvais obtenir des informations différentes de celles que les Russes voulaient bien laisser filtrer. Etre là où les journalistes ne sont pas. Seule, loin de « l’effet de meute » qu’entraîne infailliblement l’afflux des reporters, je pouvais nouer un vrai contact avec la population ». Son travail rassemblé dans le livre, Chiennes de guerre
[1], sera récompensé en septembre 2000 par le prix Albert-Londres.

A contre-pied de certains confrères, Anne Nivat ne se met pas en avant. « Il faut avoir l’humilité d’écouter. L’intérêt de l’interview est dans les propos de l’interviewé. Il faut établir avec l’autre une relation de confiance ». Pour y parvenir, elle vivra pendant toute une année sous le toit d’une famille tchétchène et ira, pour se fondre dans le paysage, jusqu’à porter le voile. « Je respectais leurs traditions, j’ai vécu avec eux sous les bombardements. Nous étions dans la même galère ».

A la clé une profonde complicité avec le peuple tchétchène: « ils ont autant appris sur moi que j’ai appris d’eux ». Cela lui vaudra d’être arrêtée quelques jours par les services spéciaux russes et accusée d’espionnage. Du coup, certains lui reprochent une prise de risques inconsidérée. Elle s’en défend : « Le danger n’a un sens qu’autant qu’il en vaut la peine. Mon seul objectif, en tant que journaliste, est de pouvoir témoigner et apporter ma version des événements. Ne serait-ce que pour cette raison, je tiens à revenir saine et sauve ».

La volonté d’indépendance d’Anne Nivat a un prix – outre le prix Albert-Londres- dont elle est parfaitement consciente. « Je sais comment fonctionne le système médiatique et j’en suis sortie. Etre seule, est ardu mais je choisis moi même l’angle de mes papiers, que je vends à qui est intéressé». Aujourd’hui installée en Russie pour préserver sa « vision décalée », Anne Nivat a renoncé à écrire sur la Tchétchénie. « Cette guerre-là n’est plus à la mode pour les media ». Et de fustiger leur conformisme et leur passivité qui ne laissent que trop peu de place dans leurs colonnes à l’actualité internationale. Pour autant, elle ne baisse pas les bras. « Si j’en avais le temps et les moyens », dit-elle, « j’irais bien passer six mois au Pakistan pour enquêter sur les talibans et le gigantesque trafic d’armes qui se fait là-bas ». A bon entendeur…

[1] Ed. fayard, 2000, 295 pages, 18.05€

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