Thursday, February 27, 2014

L'énigme du Dickens inachevé

Le romancier décéda en pleine rédaction du « Mystère d'Edwin Drood ». Une adaptation imagine une fin au roman du maître. Un de ses plus noirs.


C’est un secret que Charles Dickens a emporté dans sa tombe. Alors que le romancier victorien est en pleine écriture de son roman policier Le Mystère d’Edwin Drood, il succombe, en juin 1870, à une attaque. Seule la moitié de l’intrigue, résumée à son éditeur par un laconique « le meurtre d’un neveu par son oncle », est couchée sur le papier. Comble de la frustration, lorsque Dickens décède, son personnage-titre d’Edwin vient tout juste de se volatiliser sans laisser de traces ou de cadavre.

L’auteur d’Oliver Twist n’a pas écrit de brouillon ou donné de consigne expliquant le dénouement qu’il envisageait. Cet épi­logue manquant n’a cessé d’inspirer les admirateurs de l’écrivain. En 2012, la BBC confiait à la scénariste Gwyneth Hughes le soin d’imaginer une fin appropriée à cette ultime œuvre de Dickens. Une adaptation haletante et facétieuse à découvrir ce jeudi sur Arte.

Un scénario digne de Doyle

Parmi les romans les plus noirs de Dickens, Le Mystère d’Edwin Drood raconte l’obsession brûlante que porte un modeste chef de chœur et professeur de musique, John Jasper (Matthew Rhys), à une élève, Rosa (Tamzin Merchant vue dans Les Tudors ). Or l’orpheline est promise au neveu de Jasper, Edwin Drood (Freddie Fox), un jeune blanc-bec impétueux. La jalousie que le maître de chant en conçoit est d’autant plus incontrôlable que, fumeur d’opium invétéré, il a de plus en plus de mal à distinguer la réalité de la fiction. Le peu de sang-froid qui lui reste vole en éclats quand Edwin débarque à Cloisterham pour demander formellement la main de Rosa. Ce retour coïncide avec l’arrivée sans motif apparent des Land- less, un frère et une sœur nés à Ceylan. Le duo se prend d’amitié pour Rosa mais a aussi un compte à régler avec les Drood.

Il n’en faut pas plus pour envenimer la situation. Un soir de tempête, alors qu’ils doivent dîner ensemble pour sceller leur réconciliation, le dandy Edwin disparaît. Jasper accuse aussitôt Neville Landless… Plutôt que de chercher à coller au texte de Dickens, qui changeait souvent d’avis et a multiplié les fausses pistes, la scénariste s’est mise dans la peau du mal-aimé, Jasper. D’emblée, on est plongé dans son esprit tourmenté sous l’effet de la drogue et hanté de rêves macabres insistants.
Dans ces songes, le maître de musique étouffe son neveu au pied d’un autel, au moyen d’une cravate noire, sous les yeux complices de Rosa.

Baignant dans une luminosité clair-obscur, à l’ombre des arches d’une cathédrale gothique, le téléfilm est troublant et malsain à souhait. Il recrée à la perfection les délires opiacés de Jasper pour mieux dérouter le spectateur. Matthew Rhys est terrifiant de désirs et d’ambitions contrariés. Son amertume, sa rage vont crescendo. Une performance aussi délicate et trompeuse que celle que le comédien livre dans la série d’espionnage The Americans, où il ­campe un agent soviétique infiltré aux États-Unis. En face de lui, Freddie Fox interprète un Edwin si bouffi de son importance que l’on s’étonne que personne n’ait été tenté de l’éliminer avant.

D’ailleurs le cœur de l’adaptation est moins de savoir qui a tué le jeune homme que le pourquoi et le comment. Gwyneth Hughes y répond avec un scénario des plus alambiqués, digne de Conan Doyle, en invoquant des liens familiaux insoupçonnés, et en faisant apparaître, deus ex machina, des personnages providentiels. Des pirouettes que n’aurait pas reniées maître Dickens !

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