Monday, March 21, 2005

Charles Baron vu par sa femme... (1)

Alain Genestar : l'unique travail que nous accomplîmes avec le seigneur de Paris Match. Une rareté que je ne regtrette pas, toutes nos séances avec lui furent mises au profit de la conception d'un magazine hors-série consacré à notre voyage en Pologne lors de l'anniversaire de la libération des camps. Pour moi, le sujet fut tout trouvé car c'était le seul que j'avais creusé : la vie de Micheline, épouse et fille de déportée... Une petite dame formidablement brave.

Ce travail de fourmis fut l'occasion de retoucher chirurgicalement le texte pour l rendre le plus percutant possible d'où une perte de poids drastiques entre une version longue et babillante à une interprétation courte et sobre. A vous d'apprécier les choix éditoriaux.

Charles Baron vu par sa femme : l’homme qui a traversé la mort et n’en est jamais revenu

Pas à pas sur le sol enneigé de Pologne elle le suit. Petite forme emmitouflée dans une longue parka noire, elle accompagne ce colosse. Elle reste quelques mètres en arrière, prête à le soutenir. Lorsqu’il s’avance ému vers la plaque commémorative située le long de la Judenramp à Birkenau, c’est elle qui l’aide à déblayer la neige qui la recouvre. « Charles, il a tout mon regard, toute mon admiration » professe avec ferveur son épouse, Micheline Baron.

Ce duo synchrone dure depuis près de 55 ans mais dés le début la Shoah s’y est immiscée. Micheline, invitée par son amie Simone, rencontre Charles dans un cour de danse en 1948. Charmée par sa gentillesse, elle le revoit. Elle lui demande alors en 1950 de l’épouser, proposition qu’il s’empresse de refuser. Les stigmates de la déportation sont trop proches. Il porte encore un corset et lui assure qu’il ne passera pas l’année. Qu’importe, Micheline lui réplique qu’elle sera une « jeune veuve » heureuse et qu’il n’y a pas de meilleur destin d’être une femme seule dans la fleur de l’âge.

Il lui confie sans réticence tous ses souvenirs d’Auschwitz. « L’histoire des petits Lituaniens que les Allemands ont fait parader avant de les gazer est la première qu’il m’ait racontée. Je voulais comprendre, nous avons toujours parlé entre nous puisqu’à l’époque personne ne voulait nous entendre.» Ce besoin de partager, ils le doivent aussi à une histoire commune. A l’instar de Charles dont les parents sont morts à Auschwitz, Micheline y a perdu son père et a traversé la guerre cachée dans une famille d’accueil dans le Poitou.

Ensemble ils s’embarquent dans une existence rendue difficile par le manque d’argent. « Charles a eu la malchance » dit Micheline « de retrouver, contrairement à d’autres déportés, à son retour en France des membres de sa famille et de ne pas avoir été aidé comme orphelin de guerre. Sa tante l’a poussé à travailler au lieu de lui permettre de reprendre ses études. ». Maroquinier, ouvreur, vendeur de sanitaires, Charles multiplie les emplois. « Charles a beaucoup de dons mais il n’a eu aucune opportunité » murmure-t-elle en évoquant ses « commentaires » de livres publiées dans le Monde Juif et l’Amicale d’Auschwitz ou son travail en tant que membre du comité de rédaction de la revue Mémoire de la Shoah.

Ce travail de critique est seulement un des aspects de l’engagement complet de Charles à la mémoire de la Shoah. Lui et Micheline sont de tous les combats : fils et filles de déportés, amicale d’Auschwitz et de Drancy. Micheline organise des expositions sur la vie des Juifs sous l’occupation, Charles lui témoigne en France et à l’étranger, inlassablement.

Une responsabilité essentielle : « Il faut que les gens écoutent et sachent et ils peuvent le faire d’autant mieux lorsqu’ils ont en face d’eux quelqu’un qui a vécu le drame » analyse Micheline. Ces témoignages, en particulier face aux lycéens, le ramènent régulièrement en Pologne, au moins deux fois par ans. Des visites qui tourmentent Micheline « Chaque fois qu’il revient, même s’il a l’air de rester composé, il est détruit et vide ». En 2005 Charles s’est déjà rendu sur les lieux de son clavaire trois fois entre commémoration et sensibilisation des jeunes, un rythme qui a poussé Micheline à lui demander de diminuer la cadence avant de raccrocher sa veste dans les deux ans qui viennent.

Un héritage des camps également difficile à porter pour leurs deux filles. C’est seulement depuis le mois de janvier que l’aînée a exprimé son malaise devant cette omniprésence du génocide qui occupe une pièce entière de leur appartement et la complicité trop forte entre ses deux parents. Elle a demandé à son père un entretien particulier, entre lui qui parle tant et elle qui s’est tut, pour enfin discuter. «Je ne l’ai pas vu, j’ai toujours considéré que si elle consultait un psychologue c’était parce qu’ un petit ami l’avait quittée mais peut-être en a –t-on trop parlé » reconnaît sa mère.

Mais pour elle, la guerre et ses souvenirs sont gravés dans leurs chairs. Ainsi cette manie qu’à Charles de ne pouvoir s’endormir sans nourriture et verre de lait à coté de son lit, lui qui a tant souffert de la faim durant sa déportation.

Elle confie douloureusement « Nous n’avons jamais laissé la guerre derrière pour aller de l’avant. Comme je n’accepterai jamais la mort de mon père, Charles, lui, affirme souvent qu’il n’est jamais sorti des camps ».

Une marque au fer rouge qui apparaissait déjà en filigrane d’autres témoignages comme Jorge Semprun qui déclarait dans l’Ecriture et la Vie « Cette traversée de la mort devenait la seule réalité pensable, la seule expérience vraie. Tout le reste n’a été qu’un rêve depuis ».

3880 signes
Constance Jamet

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