Sotomayor, «la voix de la diversité à la Cour suprême»
INTERVIEW - Pour la première fois, une femme hispanique va devenir juge à la plus haute juridiction américaine. Le choix de Barack Obama ne remettra toutefois pas en cause l'équilibre de cette institution, comme l'explique Vincent Michelot, spécialiste de la Cour suprême.
Comme prévu, la commission judiciaire du Sénat américain a approuvé mardi la nomination de Sonia Sotomayor comme juge à la Cour suprême pour remplacer David Souter qui avait démissionné au printemps. Ce oui devrait être confirmé par le Sénat en séance plénière la semaine prochaine.
Sonia Sotomayor, dont les parents sont portoricains, sera la première juge d'origine hispanique à siéger à la Cour. Toutefois sa nomination, voulue par Barack Obama, ne bouleversera pas l'équilibre politique et idéologique de l'institution, comme l'explique Vincent Michelot, professeur à l'IEP de Lyon et auteur d'une thèse de doctorat intitulée «Les nominations à la Cour suprême des États-Unis (1937-1987) : aspects politiques»
LEFIGARO.FR - Est-ce que la nomination de Sonia Sotomayor va modifier l'équilibre politique au sein de la Cour suprême ?
VINCENT MICHELOT - Elle ne va en rien modifier l'équilibre idéologique de la Cour. Elle va remplacer David Souter, considéré comme le juge le plus progressiste et à gauche de l'institution. Il avait voté notamment en 1992 pour le maintien du droit des femmes à l'avortement. Le rapport de force au sein de la Cour va donc rester inchangé. A la veille de la démission de Souter, la composition de la Cour était la suivante (1) : quatre juges «libéraux», quatre magistrats conservateurs voire très conservateurs, ainsi qu'un conservateur modéré centriste «pivot» qui vote parfois avec les progressistes. La voix de ce dernier est décisive lorsque les décisions sont prises à cinq voix contre quatre. Des mauvaises langues disent même que Sonia Sotomayor serait moins progressiste que David Souter sur la question de l'équilibre des pouvoirs et devrait se montrer plus déférente vis-à-vis de l'exécutif. Or un des grands débats que va avoir à trancher la Cour suprême dans les années à venir va être la délimitation du pouvoir de l'exécutif, qui a beaucoup grandi sous George Bush après le 11 septembre.
Les républicains ont remis en cause l'impartialité de Sonia Sotomayor, après que celle-ci a déclaré qu' «une juge hispanique était mieux placée, du fait de son expérience, pour rendre des jugements qu'un homme blanc». Ces craintes sont-elles fondées ?
Non, on ne peut pas détecter là une tendance à la partialité en faveur de certaines minorités. Au vu de son histoire - Sonia Sotomajor est originaire du Bronx, filles d'immigrés porto-ricains - elle n'a pas vécu la même forme d'ascension sociale et a peut-être subi plus de discriminations que ses futurs collègues de la Cour. Quoi de plus normal de dire qu'elle peut apporter quelque chose de différent qu'un homme blanc de 50 ans qui a eu une carrière universitaire puis juridique conventionnelle ? Ses propos, de même que leur exploitation politique par les républicains, sont parfaitement légitimes.
A-t-on une idée des positions de Sonia Sotomayor sur des sujets comme l'avortement, le port d'armes ou la peine de mort ?
Jamais un juge de la Cour Suprême ne fait connaître sa position sur de futurs dossiers lors des auditions devant la Commission judiciaire du Sénat. Le faire serait se disqualifier. L'institution se prononce non sur des affaires théoriques mais sur des cas précis. Cela dit, le parcours de Sonia Sotomayor donne quelques indices sur les sujets auxquels elle devrait se montrer attentive. En tant qu'ancienne juge d'appel fédéral, elle devrait aller dans un sens plus progressiste dans l'application des programmes de discrimination positive («affirmative action»). On sait aussi qu'elle est très favorable aux droits des femmes et qu'elle est relativement modérée et centriste sur le droit des affaires.
Quels sont les enjeux de la nomination de Sonia Sotomayor pour Barack Obama ?
Sonia Sotomayor symbolise la voix de la diversité au sein de la Cour suprême. Son choix montre que le droit des femmes et des minorités continue à être la priorité absolue de l'administration Obama.
Sa nomination va aussi permettre de voir le degré de collaboration entre la Maison-Blanche et le Sénat. Les élus républicains peuvent décider de faire barrage quelles que soient les qualités de Sotomayor ou peuvent au contraire faire preuve d'un esprit bipartisan et faire acte d'ouverture comme Barack Obama l'a fait en maintenant Robert Gates au Pentagone. Cinq sénateurs républicains ont déjà annoncé qu'ils soutiendront Sotomayor lors du vote de confirmation au Sénat la semaine prochaine. Or le président va avoir besoin du soutien des républicains pour faire passer ses grandes réformes comme celle de la santé. La nomination de Sotomayor a aussi donné un coup de pouce idéologique au parti républicain, en crise : elle lui a offert une tribune pour redéfinir sa philosophie politique.
Mais les enjeux politiques d'une nomination à la Cour suprême seront surtout réels lors de la prochaine nomination que Barack Obama aura à faire. S'il doit remplacer un juge conservateur, il pourra faire basculer la majorité de la Cour, en nommant un juge progressiste.
(1) Juges conservateurs : Antonin Scalia, John G. Roberts, Clarence Thomas, Samuel Alito.
Juge conservateur modéré «pivot» : Anthony Kennedy.
Juges «progresssistes» : John Paul Stevens, Ruth Bader Ginsburg, Stephen Breyer, David Souter, remplacé par Sonia Sotomayor
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