Grand moment d'émotion en ce mois de septembre 2004, je publie, en effet, le premier papier de mon existence! si on met de coté les brèves publiées les semaines précédentes et que je n'ai pas conservées en fichier word et la rumeur que j'aurais déjà signé un article en 2000 lors de mon stage à Marianne.
Cette page n'aurait jamais dû voir le bout de mon écriture pourtant. Au départ sont envoyés spécialement en février 2004 un photographe, Paolo Pellegrin et un journaliste pour donner naissance à un reportage commémoratif dix ans après avec donc des entretiens approfondis avec les villageois et des descriptions fournies. Mais de retour à Paris, tout passe au marbre pour cause d'embouteillage d'actualité. Et me voici donc en septembre de la même année chargée de faire une petite notice d'actualité. Evidemment, la responsabilité d'une page me confondait de peur et de plaisir...!
Retrospectivement, je suis désormais beaucoup moins enthousiaste sur ce papier. J'y vois toutes les maladresses de style et de construction et puis surtout les approximations factuelles dont me feront prendre conscience le témoignage des deux survivantes du génocide rencontrées en Pologne, Annick et Victoire.
Mais il y a un premier pas à tout!
En 1994, au Rwanda, 800 000 Tutsis ont perdu la vie dans une horrible guerre civile. Dix ans après, malgré une politique de réconciliation nationale, la page n'est pas tournée. Seule une dizaine de jugements a été rendue pour plus de 100 000 prisonniers hutus accusés de génocide.
Le massacre du camp de Gatumba, à la frontière du Burundi et de la RDC (République démocratique du Congo) où, le 13 août dernier, les rebelles burundais hutus du FNL (Front national de libération), assistés d'éléments congolais et d'extrémistes hutus rwandais, ont tué 163 réfugiés tutsis congolais d'origine rwandaise, remet sur le devant de la scène le génocide rwandais qui a coûté la vie à 800 000 Tutsis en 1994. Les événements de Gatumba, dans un Burundi qui peine à se sortir d'une guerre civile de onze ans, montrent à quel point il est délicat de mettre fin à des années de conflits ethniques, dans la région des Grands Lacs, entre Hutus, majoritaires au Burundi et au Rwanda, et Tutsis, minoritaires dans ces deux pays et en RDC. A ce titre, l'exemple du Rwanda, qui tente de panser ses plaies, aurait dû alerter la communauté internationale sur la difficulté et la fragilité d'un retour à la normale.
Officiellement, l'assassinat, le 6 avril 1994, du président hutu rwandais, Juvénal Habyarimana, met le feu aux poudres et marque le début de la tragédie rwandaise. Officieusement, elle est le résultat d'une planification, conçue par des extrémistes hutus proches du président, qui s'appuient sur une société rwandaise hiérarchisée et respectueuse de l'autorité de l'Etat, la pauvreté de la paysannerie, une propagande contre les Tutsis véhiculée par les médias en réponse à l'apparition en 1990 du mouvement rebelle tutsi FPR (Font patriotique rwandais) et la mise sur pied par les services secrets et le parti présidentiel de milices (Interahamwe). Menés par les miliciens, des milliers de paysans hutus massacrent, durant trois mois, leurs voisins tutsis jusqu'à l'arrivée au pouvoir en juillet du FPR. Entre-temps, la communauté internationale aura fermé les yeux avant de reconnaître, tardivement, en juin 1994, que ces « luttes tribales » méritent bien la dénomination de « génocide », des Tutsis ont été tués, car ils étaient nés tutsis.
Dix ans plus tard, la page n'est pas encore tournée malgré la politique de réconciliation nationale prônée par le régime de Kigali. Les souffrances de la population continuent. Les exactions reprennent en 1996, cette fois sous l'égide du FPR qui attaque les camps de réfugiés hutus (simples exécutants du génocide et organisateurs : ex-gouvernement et groupes extrémistes) en RDC afin de précipiter leur retour et de couper court à l'influence des extrémistes hutus. Le génocide détruit toujours les corps : 80 % des femmes rescapées - soit 250 000 - ont été violées, donnant naissance à plus de 5 000 « enfants de tueur », et plus de la moitié ont été infectées par le virus du sida. Le travail de deuil et de mémoire est aussi rendu difficile par la promiscuité entre bourreaux et victimes qui vivent de nouveau côte à côte, il est impossible de « criminaliser » les 2 millions de Rwandais qui ont participé au carnage.
Le pouvoir a lancé une politique de repentir
Ce huis clos entretient la méfiance entre les deux ethnies : les Tutsis craignent que les Hutus terminent le « travail » de 1994 une fois que les partis hutus seront revenus au pouvoir ; les Hutus ont peur d'un « contre génocide ». L'inégalité économique entre les Tutsis qui n'ont pas été indemnisés suite à la perte de leurs biens et leurs agresseurs qui retrouvent leurs possessions enveniment la cohabitation. Les Tutsis doivent aussi faire face aux lenteurs de la justice. Devant le nombre de prisonniers pour génocide (100 000), le pouvoir a lancé une politique de repentir. Quiconque avoue peut être éventuellement libéré, 20 000 personnes ont profité de cet élargissement en janvier 2004. Cette stratégie contribue à nourrir un négationnisme ambiant en encourageant les coupables à se défausser de leurs responsabilités sur l'Etat et l'armée, accusés de les avoir entraînés dans ce cycle de violence, tout en avouant un minimum de meurtres. Ce système, s'il favorise les meurtriers, pénalise ceux qui clament leur innocence.
Autre mesure pour lutter contre cet engorgement, les
gacaca, des tribunaux locaux rétablis en 2002 et chargés de clore les dossiers d'accusation. Reste à savoir si ces tribunaux, qui statuaient jadis sur des questions de vol de bétail, sont la juridiction ad hoc. Ils doivent en effet gérer les délations intempestives et la difficulté de constituer des « jurys » impartiaux où doivent figurer, en principe, des Tutsis aux côtés des Hutus. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a rencontré des difficultés similaires pour juger les organisateurs du génocide.
Après de nombreuses défaillances, il n'a rendu qu'une dizaine de jugements, la non-coopération du gouvernement rwandais, mené par le FPR qui proteste contre les poursuites lancées contre ses dirigeants, contribue à entraver sa mission. Cette incapacité à cerner clairement les responsables du génocide empêche tout pardon sincère. La réconciliation semble être une marche forcée imposée par l'Etat, on se sent « obligé de vivre ensemble ».