La métamorphose du modeste village de pêcheurs en repaire
branché de la jet-set ne fait pas que des heureux. Reportage.
Sous les pavés de Saint-Tropez, les yachts, les magnums de champagne et des
stars botoxées en Bikini à perte d'horizon ? Détrompez-vous. Ce mardi soir sur
France 2, le documentaire
L'Histoire secrète de Saint-Tropez révèle un
lieu plus authentique, loin du bling-bling et des préjugés qui collent au
village français le plus connu. Le réalisateur, le journaliste Stéphane Bentura,
retrace l'épopée oubliée de cette perle de la Côte d'Azur. Pour les Tropéziens
du début du XX
e siècle, la transformation de ce pauvre village de
pêcheurs en rendez-vous des stars et des milliardaires aurait relevé de la
science-fiction.
Saint-Tropez fait figure de commune miséreuse et
sous-développée où l'on vit de la mer, où l'on cultive des arbres fruitiers
autour desquels paissent paisiblement les moutons. Quand on peut, on se fait
embaucher à l'usine de torpilles. Mais l'aura de Saint-Tropez est déjà là, dans
ses paysages baignés de soleil qui émeuvent les peintres comme l'impressionniste
Signac. Ils montrent leurs toiles à leurs mécènes. Conquis, ces industriels
constituent la première jet-set de Saint-Tropez, dont la réputation arrive aux
oreilles des artistes parisiens Paul Éluard, Picasso, Pierre Brasseur...
Peu
importent les quatorze heures de trajet en automobile, tout ce petit monde se
mêle sans chichi aux gens du cru, investissant les terrasses des cafés et les
pistes de danse. On troque volontiers une session de jazz contre une portion de
poissons. Les garçons de café ne s'étonnent pas de croiser le roi d'Espagne Juan
Carlos, incognito, en quête d'un verre de lait.
Des hordes de « fadas »
Flairant la manne touristique, certains habitants se découvrent une fibre
d'homme d'affaires et s'installent à la tête des hauts lieux du village comme le
Gorille ou le Café des Arts. Cet âge d'or est éclipsé par deux « mythes » du
cinéma français : Brigitte Bardot et la saga du
Gendarme de
Saint-Tropez, avec Louis de Funès.
Soudainement, le village devient la
capitale du fantasme. Les Tropéziens, un peu ahuris, voient débarquer, durant
les mois d'été, des hordes de « fadas » qui se baladent seins et torses nus.
Déjà, des vacanciers fortunés sortent leur carnet de chèques et rachètent, pour
plusieurs millions de francs, les maisons des pêcheurs autrefois insalubres. Et
que dire des fêtards des décennies 1980 et 1990 ? Saladiers de cocaïne, fêtes
ostentatoires, c'est le Saint-Trop' des paillettes et des excès.
Les images
d'archives de Stéphane Bentura ressuscitent le Saint-Tropez de jadis, qui peuple
les souvenirs nostalgiques des « anciens ». Le journaliste laisse la parole aux
Tropéziens, toujours gouailleurs, mais que l'on entend rarement. Comment
résister au malicieux Marius, qui retrace, du haut de ses 97 ans, sa carrière de
Don Juan, ou au tempo du piano mécanique de Chez Palmyre ?
Dans toute
ascension à la Faust, le succès a un prix : l'âme. Saint-Tropez perd la sienne.
Stéphane Bentura égrène des chiffres implacables. En quinze ans, la ville s'est
vidée de ses forces vives, le coût de l'immobilier (20 000 euros le
m
2) a chassé un tiers de la population. Pour ceux qui peuvent rester,
l'air est vicié : les querelles politiques entre partisans et opposants de
l'urbanisme ont divisé des familles entières. Un climat de Clochemerle à mille
lieues du farniente et de l'insouciance estivale.
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