Jean-Xavier de Lestrade signe une fiction poignante sur une
adolescente envoyée en centre éducatif.
Une silhouette menue déambule dans la pénombre jusqu'au réfrigérateur et se
jette sur la nourriture. Bienveillante au premier abord, la mère propose de
faire réchauffer le plat mais, très vite, les reproches pleuvent : «
Pourquoi tu sèches les cours ? », « Pourquoi tu ne dis jamais rien ?
», « Pourquoi tu me rends malheureuse » ? Acculée, à bout, Manon
la poignarde.
Rarement montrée à la télévision, la violence des adolescents,
et celle des filles en particulier, est le sujet de 3×Manon, la fiction
que lance Arte ce jeudi soir. Sur un sujet qui pourrait sembler misérabiliste et
scabreux, le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade tisse une minisérie magistrale.
Manon, regard de biche noir et fuyant de colère, silence borné, chevelure
d'ébène, comparaît devant le juge pour enfants qui lui propose, en guise de
dernière chance, un séjour en centre éducatif fermé.
Un parfait duo mère-fille
Les premiers pas de l'adolescente - interprétée par Alba Gaïa Bellugi, qui
crève l'écran - sont tonitruants. Elle enchaîne bagarre sur bagarre, insulte sur
insulte, avec les éducateurs et les pensionnaires, dont la chef de bande, Lola.
Des geysers de fureur comme autant de cris de désespoir de la part d'une âme qui
ne se connaît pas, qui n'a jamais eu l'espace de s'exprimer.
Oscarisé pour
son documentaire Un coupable idéal, le réalisateur Jean-Xavier de
Lestrade a eu l'idée de 3×Manon lors d'une enquête sur
l'affaire Courjault. « J'avais discuté avec la psychiatre Claude
Halmos, se souvient-il. Elle disait que le passage à l'acte chez celle
qui avait tué plusieurs de ses nouveau-nés s'expliquait par sa relation avec sa
mère. Celle-ci ne lui avait pas transmis l'imaginaire. » Et d'ajouter :
« Les parents d'aujourd'hui pensent que l'amour suffit et se défaussent de
leur mission d'éducation sur les institutions comme l'école. J'ai voulu explorer
ces limites. »
Si 3×Manon sonne juste, c'est grâce à son
parfait duo mère-fille. Marina Foïs est terrifiante de tendresse fusionnelle et
envahissante qui empêche sa fille de grandir. Alba Gaïa Bellugi hante les
couloirs, sa main glissant sur les murs comme pour saisir une corde de sauvetage
invisible. « Alba Gaïa Bellugi est on ne plus différente de Manon, elle aime
l'harmonie. Pour les scènes de violence, elle a cherché au plus profond
d'elle-même. Lorsqu'elle achevait ses scènes, on voyait parfois un voile de
mélancolie dans ses yeux », raconte, admiratif, Jean-Xavier de
Lestrade.
Loin de l'image d'Épinal
3×Manon est une suite de renaissances. « L'adolescente est
étouffée par cette rage insensée qui l'habite et qui lui échappe. Grâce à son
professeur de français, elle apprend les mots qui vont lui permettre de se
projeter, de découvrir sa singularité. Elle comprend que l'amour de sa mère
n'est pas normal, qu'elle n'a jamais connu l'amour », décrypte Jean-Xavier
de Lestrade, qui a soigné à dessein les scènes où les filles débattent des
mythes et des contes, armes indispensables vers la liberté.
« Contre la
violence des jeunes, tout est préférable à l'incarcération », souligne le
réalisateur, qui restitue toute l'ambivalence des centres éducatifs fermés. Les
éducateurs se comportent en gardiens de prison mais doivent aussi conduire vers
l'âge adulte ces âmes en peine. « J'ai voulu montrer l'adolescence telle
qu'elle est, loin de l'image idéale que l'on trouve par exemple dans la
série Clem », plaide Jean-Xavier de Lestrade, qui aimerait «
ouvrir les horizons ».
Récompensée en janvier par le Fipa d'or,
3×Manon interroge chacun sur sa conception de la parentalité et de
l'affection. De la vie, tout simplement.
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