À 25 ans, le cinéaste écrivait et réalisait « Little Odessa
». Arte diffuse le film, suivi d'un documentaire sur ses secrets de
fabrication.
Les bonnes fées ne s'étaient pas précipitées sur ce berceau : un budget
étriqué de 2 millions de dollars, un tournage express dans des conditions
météorologiques dantesques, un jeune réalisateur et scénariste de 25 ans inconnu
au bataillon, le désaveu d'une de ses stars à la projection. Pourtant, le film
Little Odessa sera le coup de coeur du Festival de cinéma de Venise en
1994. Le thriller repart avec le lion d'argent et place sur orbite son metteur
en scène : James Gray. Arte lui déroule le tapis rouge, ce mercredi, en
diffusant le film puis un documentaire sur sa genèse.
Little Odessa est le
surnom donné à une partie de Brooklyn à New York, où se sont installées
plusieurs vagues d'immigrants venus de Russie : Juifs fuyant les pogroms,
esprits désireux de tenter leur chance après la chute de l'URSS, mais aussi
membres du crime organisé. Une toile de fond indissociable de la tragédie que
tisse James Gray. Son héros, Joshua Shapiro (indéchiffrable Tim Roth), est un
tueur à gages contraint de revenir dans le quartier de son enfance pour exécuter
un contrat, et ce, bien que sa propre tête soit mise à prix.
Joshua a été
renié par son père (bougonnant Maximilian Schell). Pour l'intraitable patriarche
qui a les punitions et les coups de ceinture faciles, ce fils aîné est un
déshonneur, qui risque de « contaminer » son cadet, Reuben (Edward Furlong, à
contre-emploi). L'adolescent reprend cependant contact avec Joshua et lui révèle
que leur mère (Vanessa Redgrave, elle aussi récompensée à Venise) se meurt d'une
tumeur. Défiant l'oukase parental, Joshua se rapproche de ce frère qui
l'idolâtre, même si cette complicité ne peut être qu'éphémère.
Une franchise rare
Baignant dans un clair-obscur emprunté aux tableaux du Caravage, nimbé dans
la neige d'un des hivers les plus violents que connut New York, résonnant de
choeurs, Little Odessa est un bijou de crépuscule, d'émotions étouffées
et de non-dits. Telle des poupées russes, cette oeuvre sur les
dysfonctionnements qui rongent et détruisent une famille se dissimule dans un
thriller mafieux, un Parrain du Caucase où les exécutions sont
cliniques. Un faux-semblant que décrypte James Gray dans le documentaire très
fouillé que lui consacre, après la diffusion du long-métrage, David Thompson,
dans le cadre de la série documentaire Un film et son époque. Si le
réalisateur américain, dont c'était le premier film, a eu besoin d'une telle
mise en abyme, c'est que Little Odessa contient beaucoup de son
histoire personnelle.
Cette mère qui convulse, ce père perpétuellement
insatisfait, cet aîné si difficile à saisir, ces aïeux qui ne s'expriment qu'en
yiddish, c'est l'enfance de James Gray. Ses grands-parents arrivèrent aux
États-Unis dans les années 1920 via Ellis Island pour échapper à l'antisémitisme
dont ils étaient victimes en Ukraine. Une page d'histoire qu'il a récemment
revisitée dans The Immigrant avec son acteur fétiche Joaquin Phoenix et
Marion Cotillard.
Le réalisateur de La nuit nous appartient et
de Two Lovers est d'une franchise rare. Il n'édulcore pas les coulisses
rocambolesques de Little Odessa. James Gray ne dira rien sur les
recherches qu'il a menées dans le milieu des tueurs à gages, mais il imite à la
perfection les tics de l'ombrageux Maximilian Schell, décédé en février dernier.
Il explique comment l'acteur autrichien et Tim Roth (« En analyse ») en sont
pratiquement venus aux mains lors d'une scène de dispute et esquisse un
mea-culpa, vingt ans après.
Tim Roth raconte l'atmosphère improbable du
tournage où les habitants du quartier applaudissaient à tout rompre après des
scènes de crimes. Vanessa Redgrave, qui a hésité à rejoindre le projet car elle
le jugeait trop violent, complète cette liste de témoignages indispensables pour
redécouvrir un film et un réalisateur trop souvent incompris.
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